État des lieux en matière de protection juridique

Les biens immobiliers protégés par les organismes de conservation des terres privées, que ce soit sous forme de terres en fief simple ou d’accords de conservation, se trouvent principalement dans le sud du Canada, une région qui reflète une grande fragmentation en raison des tendances de peuplement et d’industrialisation au cours des derniers siècles. Ces terres jouent un rôle important dans la protection de la biodiversité et des services écosystémiques, car elles ont été acquises par un organisme de conservation de terres privées en raison de leur haute valeur pour la conservation. D’un point de vue écologique, ces terres sont irremplaçables.

La défense juridique a été désignée comme une priorité par tous les organismes de conservation des terres privées consultées, mais leur capacité à protéger efficacement leurs propriétés est le résultat d’un large éventail d’expériences. L’urgence de relever les défis organisationnels liés à la défense juridique était variable, alors que certains ressentaient la pression de problèmes particuliers, comme la croissance de l’aménagement de terrains résidentiels, de manière plus marquée que d’autres.

De plus, les observations de l’Environmental Law Centre et de l’Institut Miistakis soulignent le contexte unique de la protection juridique d’un accord de conservation. « Considérant que les servitudes de conservation sont perpétuelles et susceptibles d’être contestées à un certain moment, il convient de les rédiger en supposant qu’elles feront l’objet d’une défense un jour ou l’autre[35]. »

 

Les principaux points de discussion au cours des consultations ont porté sur la protection des accords de conservation et ont pris en compte :

  • l’importance de la dissuasion – tous les organismes de conservation des terres privées doivent être dotés d’une solide défense juridique;
  • la vulnérabilité des accords de conservation – les incidences de la mutation de propriété et l’expertise organisationnelle nécessaire pour entretenir des relations positives avec les propriétaires fonciers;
  • les éléments clés des pratiques exemplaires en matière de gestion pour prévenir des problèmes juridiques;
  • les incidences du processus de règlement ou de réclamation sur les organismes concernés;
  • la nécessité de faire appel à des professionnels du droit compétents et de disposer d’un fonds de défense juridique;
  • les avantages et les enjeux d’un programme d’assurance collective pour soutenir tous les organismes de conservation des terres privées.

De nombreux organismes de conservation des terres privées récemment créés ont déclaré qu’ils n’avaient pas encore été confrontés à des problèmes juridiques importants, car leurs accords de conservation en vigueur ont été conclus avec le concédant initial. Les frais juridiques liés à leurs activités courantes proviennent du transfert de titres et de la diligence raisonnable pour les terres en fief simple, ainsi que de l’examen des accords de conservation. Les organismes anticipent les problèmes qui se poseront à l’avenir lorsque leurs propriétés commenceront à changer de propriétaire, et la plupart d’entre eux ont reconnu la nécessité de consacrer davantage de ressources à leur défense juridique.

Ces efforts vont de l’augmentation de leurs fonds réservés pour l’ajout de personnel compétent en matière de sensibilisation des propriétaires fonciers jusqu’au contrôle de la conformité, en passant par l’accès à une équipe d’experts juridiques ayant une solide connaissance des aspects régionaux et des activités des organismes de conservation des terres. Un organisme, par exemple, a indiqué avoir adopté une approche proactive lorsqu’une de ses propriétés assorties d’une servitude a été mise en vente. Il a fourni aux agents immobiliers locaux des renseignements sur la portée de l’accord de conservation, afin que les acheteurs potentiels soient bien informés avant de faire une offre.

Le secteur de la conservation des terres privées est exposé à des risques juridiques uniques qui ne sont pas couverts par le secteur de l’assurance dommages. Les instruments d’assurance offerts comprennent l’assurance responsabilité civile générale, qui protège « contre les réclamations pour dommages corporels, préjudices personnels ou imputables à la publicité ou des dommages matériels causés à des tiers, attribuables à vos activités, vos produits ou vos lieux d’affaires[36] », et l’assurance titres, qui couvre les problèmes pouvant affecter, par exemple, les vices de titres, les privilèges existants, l’empiétement sur une propriété contiguë, la fraude immobilière et les erreurs dans les plans d’arpentage et les documents publics[37].

Les organismes de conservation des terres privées de plus grande taille ou plus anciens ont traité des questions relatives aux accords de conservation et aux terres en fief simple, notamment :

  • la mise en œuvre des accords;
  • les dommages causés par les activités sur les terres adjacentes, comme la modification du drainage en raison de la construction d’habitations;
  • la gestion des procédures officielles, comme l’expropriation pour la construction de routes ou de pipelines;
  • l’intrusion;
  • les empiétements des propriétaires fonciers voisins, comme l’abattage des arbres;
  • les dommages aux biens généraux;
  • les responsabilités en matière de gestion immobilière qui ont une incidence sur les voisins;
  • la valeur imposable de la propriété visée par un accord de conservation;
  • la mise en œuvre au niveau municipal des règles provinciales ou fédérales.

Un autre risque relevé concerne le manque d’harmonisation des politiques et des programmes entre les différents paliers de gouvernement et ministères. Bien que cela dépasse la portée de ce rapport, des études supplémentaires sont nécessaires, notamment pour clarifier l’importance de l’inadéquation entre les objectifs de conservation de haut niveau et les règlements d’urbanisme provinciaux ou plans municipaux pour les sites et les organismes de conservation des terres privées. Cette inadéquation peut avoir des répercussions sur la défense juridique des terres de conservation. Dans le même ordre d’idées, quels sont les effets d’un accord de conservation sur la valeur imposable d’une propriété et dans quelle mesure cela empêche-t-il ou favorise-t-il la protection à long terme?

La capacité de chaque organisme de conservation des terres privées à assurer la défense de ses accords et de ses propriétés est le critère décisif pour l’ensemble du secteur. L’objectif est de régler les problèmes par la médiation et d’éviter les litiges. Une décision judiciaire défavorable pour une organisation peut créer un précédent qui pourrait avoir des répercussions sur tous les organismes de conservation des terres privées au Canada.

La stratégie de protection juridique de chaque organisme repose sur l’établissement d’une relation solide avec le propriétaire foncier dans le cadre d’un accord de conservation. Cependant, le maintien de cette pratique dans les limites nécessaires reste difficile et entraîne un sentiment de vulnérabilité pour l’organisme.

Les organismes de conservation des terres privées reconnaissent la nécessité de maintenir un fonds affecté à l’interne destiné à la défense juridique. Il est difficile de collecter des fonds à cette fin, car la plupart des donateurs préfèrent financer des activités plutôt que de contribuer à un fonds affecté. Comme indiqué dans la section « État des lieux en matière d’intendance » du présent rapport, les organismes de conservation des terres privées consacrent beaucoup de temps aux campagnes de financement annuelles pour couvrir leurs activités de base, leurs projets spéciaux et leurs activités d’intendance, ainsi que pour atteindre leurs objectifs d’investissement liés à l’intendance à long terme. Toutefois, l’argent récolté est principalement utilisé pour les activités d’intendance, au lieu d’être mis de côté dans un fonds affecté en prévision d’une action en justice qui pourrait survenir de nombreuses années plus tard. Par conséquent, les organismes estiment que leur fonds de défense juridique est insuffisant. Dans la pratique, un seul fonds affecté est utilisé pour couvrir à la fois l’intendance et la défense juridique, bien que certains organismes possèdent des fonds séparés.

En cas de différend ou de non-conformité avec un accord de conservation, les coûts directs liés au processus de règlement sont constitués des frais juridiques ainsi que des autres honoraires professionnels nécessaires pour évaluer les dommages et fournir des estimations ainsi que des plans de dédommagement. Les organismes de conservation des terres privées ont indiqué que les coûts liés aux règlements variaient entre 3 000 $ et 90 000 $. Pour les affaires portées devant les tribunaux, les coûts étaient beaucoup plus élevés.

Quelques exemples présentés lors des consultations avec les organismes de conservation des terres privées mettent en évidence l’éventail des problèmes auxquels ils peuvent faire face. Dans le premier exemple, un propriétaire foncier ayant conclu un accord de conservation a subi les conséquences d’une infraction liée aux limites de la propriété commise par un voisin et qui a entraîné des dommages importants à celle-ci. Il incombait au propriétaire foncier d’intenter un recours en dommages-intérêts contre ce voisin. L’organisme de conservation des terres privées a soutenu le propriétaire foncier dans le processus de règlement en payant les coûts associés aux rapports ainsi que les frais juridiques. Un autre cas concernait le drainage de milieux humides protégés par un accord de conservation, ce qui a entraîné de graves dommages à long terme pour la propriété. L’affaire a été réglée par le biais d’un processus de « règlement des différends par voie judiciaire » et comprenait le retrait de la servitude visant les terres endommagées et le transfert de celle-ci à d’autres milieux humides sains, avec l’ajout d’un habitat supplémentaire dans le cadre du règlement.

Cependant, les répercussions sur un organisme vont au-delà des coûts directs, car le temps des membres du personnel est consacré à la procédure judiciaire plutôt qu’à leur rôle habituel. Pour les organismes dont le personnel est peu nombreux, cela peut avoir une incidence importante sur leurs autres secteurs d’activité pendant une longue période. Un organisme de conservation des terres privées a indiqué que le processus de règlement lié à des problèmes de conformité avec un accord de conservation avait pris plus de 18 mois pour être achevé, et un autre organisme a indiqué être partie à des procédures judiciaires depuis quelques années en raison de problèmes de limites liées à ses terres en fief simple. Alors qu’un règlement réussi couvrira les coûts directs encourus par un organisme de conservation des terres privées, il a été souligné que les coûts associés au temps consacré par le personnel ne sont généralement pas couverts, à moins qu’un sous-traitant ait été engagé pour mener à bien le processus. Le risque de problèmes juridiques augmente également à mesure que le portefeuille de propriétés de l’organisme croît. La présence d’un certain nombre de problèmes juridiques au sein d’un organisme possédant de nombreuses propriétés n’a rien d’étonnant.

La valeur de l’expérience dans le traitement des questions de défense juridique a été bien résumée dans une discussion au cours des consultations : « mieux vaut prévenir que guérir ». Des ressources qui décrivent les pratiques exemplaires pour les organismes de conservation des terres privées afin de minimiser les risques de problèmes juridiques sont disponibles en ligne, par le biais des organismes suivants : Land Trust Alliance BC[38], Environmental Law Centre et Institut Miistakis[39] en Alberta, Ontario Land Trust Alliance[40], et Réseaux de milieux naturels protégés au Québec[41].

L’objectif de ces pratiques exemplaires est de soutenir la passion qui motive un organisme de conservation des terres privées au moyen de systèmes rigoureux qui permettront de préserver à perpétuité des zones naturelles d’importance. Elles sont conçues pour anticiper les problèmes éventuels et faire en sorte qu’un organisme de conservation des terres privées soit prêt à relever les défis qui se présentent à lui. Les pratiques exemplaires répondent à un ensemble de besoins, dont les suivants :

  • faire preuve de diligence raisonnable dans l’élaboration des modalités d’un accord de conservation ou d’un don de terres, en tant qu’exercice de gestion et de prévention des risques, pour clarifier les limites des volontés du propriétaire foncier, obtenir une valeur pour la conservation maximale et réduire au minimum les restrictions superflues qui pourraient devenir litigieuses;
  • assurer une tenue des dossiers professionnelle et précise afin de répondre aux normes relatives aux éléments probants;
  • établir et maintenir une fréquence régulière de surveillance de la conformité;
  • séparer les rôles de la surveillance écologique et de la surveillance de la conformité au sein du personnel;
  • s’engager dans un processus de médiation en premier lieu pour faire suite aux problèmes de conformité;
  • établir un contact satisfaisant avec les nouveaux propriétaires fonciers prenant un titre de propriété faisant l’objet d’un accord de conservation

 

Tous les organismes de conservation des terres privées consultés aux fins du présent rapport ont reconnu la nécessité d’une approche collaborative et accueilli favorablement l’idée d’un fonds collectif ou de mécanismes communs pour soutenir leurs besoins potentiels en matière de défense juridique et créer les meilleures conditions possible pour remplir leur mission de protéger leurs terres de manière perpétuelle.

Les avantages potentiels sont les suivants :

  • offrir un accès équitable à une aide juridique importante qui dissuadera toute action en justice contre l’ensemble des organismes;
  • aborder les problèmes de capacité organisationnelle par la formation sur les pratiques exemplaires en matière de gestion et de défense juridique;
  • mettre en place un réseau d’experts à l’échelle régionale pour répondre aux besoins en ressources des organismes (p. ex. accès à des avocats qui connaissent bien le milieu de la conservation des terres);
  • soutenir les réclamations juridiques avec des fonds suffisants;
  • coordonner les recherches afin de mieux comprendre les responsabilités potentielles auxquelles les organismes peuvent être soumis dans différentes situations ou régions.

La défense juridique n’est cependant pas le facteur de motivation d’un organisme de conservation des terres privées. L’établissement de relations fondées sur un ensemble de valeurs communes liées à la conservation du milieu naturel est ce qui l’anime. Par conséquent, un fonds collectif ou un mécanisme commun libérerait les organismes de conservation des terres privées de la pression de devoir enrichir et gérer leurs propres fonds affectés à la défense juridique, ce qui leur permettrait de concentrer leurs efforts sur la collecte de fonds pour les activités, les projets spéciaux, l’acquisition et la mise en œuvre des pratiques exemplaires en ce qui a trait à la prévention et à l’intendance.

[35] Environmental Law Centre et Institut Miistakis, Creating Robust Conservation Easements.

[36] Intact Assurance, Assurance responsabilité civile.

[37] Commission des services financiers de l’Ontario, Comprendre l’assurance titres, 2008.

[38] Land Trust Alliance of BC, Legal Education.

[39] Environmental Law Centre et Institut Miistakis, Conservation Easements in Alberta.

[40] Ontario Land Trust Alliance, Resources.

[41] Réseau de milieux naturels protégés, Renforcer ses capacités.